Donc c’est non – Henri Michaux
Lettres réunies, présentées et annotées par Jean-Luc Outers
Gallimard, 2016, 186 pages
« Mes poèmes (…) sont déjà parlés. Une voix les dit fortement. Qui ne l’entend pas ne l’entendra jamais quel que soit le moyen employé. »
Ne pas connaître l’oeuvre d’Henri Michaux n’est en aucune façon un frein à la lecture de ces lettres (qui donnent férocement envie de poursuivre la découverte). L’idée, en elle-même, est séduisante : réunir, présenter, contextualiser quatre-vingt onze lettres qui toutes disent non. Non aux honneurs, non à l’exposition médiatique, non aux adaptations (ciné, théâtre, chanson), non aux lectures à voix haute (radio ou en public), non aux interviews, non aux rééditions, non à la Pléiade (!!) (de son vivant), non laissez-le, vous dit-il encore et encore. Mais la manière ! Mais ce qui nous agite tout au long de cette lecture, ce qu’on tente de comprendre des raisons profondes de ces refus entêtés et constants, la personnalité qu’on dessine dans notre imagination de lecteur, cette distance qui nous fait regarder la vie littéraire contemporaine avec chagrin… A lire !
« 4 avril 1934
Cher ami,
Si un inconnu m’avait envoyé une lettre à propos de cette anthologie de poètes belges j’aurais été fort à l’aise pour répondre. J’aurais refusé catégoriquement.
Mais c’est toi. Donc je suis un peu embarrassé. Mais il s’agit de moi. Donc je ne le suis pas. JE N’AI AUCUNEMENT L’INTENTION d’ACCEPTER. »
—
« Le 5 juin 1943,
Je pensais aller à Paris ces jours-ci et donner réponse à la demande qui m’a été faite de participer à votre anthologie des poètes.
Le voyage n’a pas eu lieu, mais la réponse, la voici : je ne fais pas de poèmes au vrai sens du mot et ne dois pas être tenu pour un poète d’anthologie. Il y a là un quiproquo entretenu par quelques fous.
Mais je suis décidé à le faire cesser et vous prie de ne pas me faire figurer dans votre anthologie. La chose vous est, je suppose, indifférente et je m’excuse de lui donner malgré moi de l’importance.
Agréez, je vous prie, Monsieur, mes salutations distinguées. » ==> « La chose vous est, je suppose, indifférente et je m’excuse de lui donner malgré moi de l’importance. » Que c’est beau !
—
« 8 juin 1951
Cher ami,
J’ai cru comprendre à votre regard en coin que vous aussi, vous vous étonniez de mon silence et de mon laisser-dire devant les prix littéraires où mon nom est mêlé.
Ceux-ci augmentant en nombre et en tapage, grâce à la vedettomanie (quoiqu’il n’y en ait pas encore plus de deux ou trois par jour), peut-être avez-vous raison et faut-il y aller de ma déclaration ? La voici :
J’excuserais une assemblée anonyme qui, siégeant secrètement dans une cave obscure, m’adresserait – expéditeur inconnu – une somme importante en signe d’enthousiasme.
Un mot d’éloge pourrait être joint, court mais largement ouvert à l’imagination songeuse.
Et qu’importe d’ailleurs ? Aux juges occultes, on prête beau visage.
Je serai Intraitable, cela va sans dire, avec les jurys qui ne seraient pas strictement conformes au modèle ci-dessus indiqué, auquel je déclare me tenir faute de mieux. » ==> 🙂
—
« Recommandé
Paris, le 14 février 1977
Cher Monsieur,
(…) Je vous prie de renoncer à votre projet.
Il est clair que même atténuée votre formule va à l’encontre de mes désirs. Je répugne – en ce qui me concerne – à l’étalage.
Si après tant de dizaines d’années j’ai pu rester plus ou moins caché c’est grâce à une vigilance et un nombre de refus que vous n’imaginez pas, à toutes sortes de propositions.
Réfléchissez vous-même. Comme je ne veux pas de photos, pas de documents personnels, pas d’autographe, pas de tripotage de ma vie, etc., votre formule ne s’applique pas.
(…)
Vous qui ne suivez que vos idées, comprenez celui qui vous dit : je n’ai pas envie. J’ai envie qu’on (n’en) parle plus, sauf vous pour me donner votre accord là-dessus.
D’avance je vous remercie. Vôtre
Henri Michaux »
==> « je n’ai pas envie » : imparable. Si sincère, si peu osé.
5 juillet 2016 at 22:05
Ca donne envie de découvrir le poète. Je ne suis pas très sensible à sa poésie
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6 juillet 2016 at 07:50
Je ne comprends pas ton commentaire ?
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6 juillet 2016 at 09:13
Peut-être maggie veut-elle découvrir l’homme qui se cache derrière le poète, si elle n’accroche pas à sa poésie.
Ce livre, je l’avais repéré car j’ai vu une expo très intéressante il y a quelques mois (je te mets le lien, je ne sais pas si ça va passer) : http://fondationbodmer.ch/expositions-temporaires/henri-michaux-et-zao-wou-ki-dans-lempire-des-signes/
Cette mise en regard, ce dialogue entre les deux m’a donné envie d’aller plus loin. Je connais un peu la poésie de H. Michaux, mais c’est un domaine que je fréquente (trop) peu (ça va venir, je le sens :-)).
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6 juillet 2016 at 10:52
Aaah, oui, c’est sans doute ce qu’elle a voulu dire, merci 🙂
Le lien fonctionne très bien, merci aussi !
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6 juillet 2016 at 11:39
En tout cas, ton billet met vraiment en appétit et les extraits cités sont géniaux ! Tout est de la même eau ?
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6 juillet 2016 at 13:21
Non, mais tout est intéressant, notamment le fait que ses réponses gardent le cap, alors que les années passent et qu’il a connu la guerre etc.
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6 juillet 2016 at 11:41
J’avais bien aimé l’un de ces recueils (La Nuit remue ? J’ai peur de sortir une connerie).
Et l’idée est originale… Je suis la première à avoir du mal à dire non, alors ce livre pourrait me servir d’exemple !
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6 juillet 2016 at 12:09
Quelle idée géniale d’avoir réuni ces textes ! Et quel courage de savoir dire non, alors qu’aujourd’hui on dit oui un peu à tout… Je vais tester.
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6 juillet 2016 at 13:44
Cela me donne envie (alors que les poèmes…) ^_^ Merci, encore une trouvaille chez toi (je ne commente pas à chaque fois, mais faut être maso pour te garder dans ses blogs chouchous ^_^)
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6 juillet 2016 at 13:45
Tu auras compris que c’est à cause des tentations ici…
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6 juillet 2016 at 13:49
🙂
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