« On essaie de comprendre les choses à partir de sa propre expérience parce que c’est tout ce dont on dispose et c’est, bien sûr, très insuffisant, on ne comprend rien, ou on comprend de travers, ou seulement l’inessentiel, mais quelle importance ? Vous savez bien que c’est seulement ainsi qu’on peut apprendre ce que comprendre signifie vraiment.«
Le principe – Jérôme Ferrari
Actes Sud (Domaine Français), 2015, 161 pages
Bien sûr il est question dans ce roman d’Heisenberg (et de son principe d’incertitude), donc de physique, donc de mathématiques, donc de ces hommes dont l’intelligence est à peine concevable – et qui pourtant sont également d’une naïveté extrême dans certains domaines, et par le biais d’un narrateur fasciné qui met en balance son époque contemporaine, on parcourt cette existence en s’interrogeant sur les choix qui ont été les siens (sans subir de réponse omnisciente, donc) – et c’est super. Déjà. Mais ce qui m’a emportée très (très) loin, vraiment, c’est la langue, le style. Jérôme Ferrari écrit tellement bien que c’est comme si on recevait, en le lisant, de multiples petites décharges électriques. Les 161 pages m’ont semblé si flamboyantes que j’en sors fourbue, mais le cerveau grand ouvert, réveillée. J’adore formellement sa manière, son sujet m’a passionnée, bref, c’est le bonheur (et le degré zéro de la chronique, mais parfois, il est bon de garder égoïstement le profond plaisir que nous a procuré la prose d’un auteur).
Mon idole partage mon enthousiasme :
Etienne Klein, Philosophie Magazine
« Votre roman m’a procuré un bonheur de lecture particulier. Vous travaillez admirablement la langue. Vos fins de chapitre sont poétiquement intenses, si j’ose dire, et confèrent une tonalité spéciale au silence qui les suit. »
Emmanuelle a aimé aussi.
« A moins que vous n’ayez obéi à ce sentiment mystérieux que je suis incapable de ressentir bien que je me rappelle l’avoir vu à l’oeuvre. Mon cousin semblait parfois ployer sous un poids énorme qui menaçait de le terrasser, et il lui fallait fuir, peut-être la canicule et l’incessante frénésie estivale, peut-être la migraine, le souvenir de nuits sordides ou quelque chose de plus sombre dont j’ignorais la nature. Il m’emmenait alors en montagne boire un café sur la terrasse d’un gîte d’étape, dans un ancien village de transhumance que traversait un sentier de randonnée. Nous y passions un moment, dans la fraîcheur des fougères, à l’ombre de grands pins. Mais son humeur restait maussade. Il ne m’adressait pas la parole. Nous reprenions sa voiture pour retourner en ville et soudain, sans que rien le laissât prévoir, au détour d’un virage, apparaissait la mer. Nous dominions le paysage, comme si nous étions suspendus dans l’air limpide, au-dessus de la route en lacets dévalant à pic à travers la forêt vers le golfe éblouissant qui s’étendait mille mètres en contrebas. Mon cousin ouvrait de grands yeux sur ce panorama qu’il connaissait depuis son enfance mais semblait découvrir à chaque fois comme si c’était la première. Il faisait un grimace incrédule, se mettait à sourire et me donnait des petits coups de poing sur la cuisse en disant putain ! Quand même, hein ? incapable d’exprimer avec davantage de clarté le sentiment qui le bouleversait et lui rendait aussi instantanément le goût de vivre, dans lequel il n’était pas difficile de reconnaître une curieuse forme d’amour qui aurait pris pour objet, non un autre être humain, mais une petite partie non déterminée du vaste monde inerte, et dont, quoique je sois moi-même incapable de le ressentir, je devais cependant admettre l’incomparable puissance.«
8 mars 2015 at 19:43
Je ne te lis pas (je reviendrai ) parce que je suis en plein dedans et j’adore. Punaise que c’est bien écrit. Je le lis à haute voix en fait, tellement je veux en profiter. C’est d’une densité , en plus…
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9 mars 2015 at 06:05
OUI ! Mille fois oui. C’est tellement bien écrit que ça m’a donné envie de le traduire, j’en lisais des passages à haute voix, puis je reprenais le sens dans un niveau de langue beaucoup plus bas, et je disais, tu te rends compte ? Comment il arrive à dire ça ? L’effet que ça produit ? Au lieu de dire bêtement comme ça ? Bref, merveilleux.
Je t’ai remerciée, tu sais, (silencieusement), c’est très directement à toi que je dois la découverte de Jérôme Ferrari 🙂
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9 mars 2015 at 11:13
Ah ! ça me fait plaisir !
Merveilleux, c’est le mot, pour qualifier ce texte 🙂
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8 mars 2015 at 20:26
Alors
1/ ta chronique est bien loin du degré zéro !
2/ tu me donnes envie de le lire et il va donc falloir que je le fasse !
3/ tu as encore changé le look de ton blog ! J’aime bien, surtout ton classement.
4/je viens de me rendre compte que j’étais dans ta colonne « ailleurs » et j’en suis vraiment touchée: merci mille fois.
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9 mars 2015 at 06:07
1/ Je t’assure que si, il y a mille choses que j’ai tues au sujet de ce livre, tu compareras avec le futur billet de Papillon, tu verras 😉
2/ Ca, c’est super !!
3/ Merci ! J’aime bien la largeur de la colonne de texte, le fait que ça commence directement, sans bannière, tout le menu de gauche accessible, mais je n’aime pas les couleurs, que je ne peux pas changer en gratuit, bouh. (Donc il est probable que je changerai encore ^^)
4/Avec plaisir 🙂
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8 mars 2015 at 22:17
Comme j’aime lorsque tu es enthousiaste à ce point là! Je crève d’envie de le lire, j’espère qu’il sera dans la sélection Express de ce mois-ci… Tu es géniale.
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9 mars 2015 at 06:08
:)))))))
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9 mars 2015 at 06:51
Je n’ai pas sauté sur ce livre parce que je n’avais pas totalement été séduite par le dernier roman de l’auteur. Mais, si il y a bonheur de lecture…peut-on passer à côté du bonheur? Je crois qu’il faut au moins que je tente.
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9 mars 2015 at 06:53
Je l’ai découvert par son prix Goncourt, justement, que j’avais déjà beaucoup aimé. Mais ce roman-ci est encore meilleur 🙂
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9 mars 2015 at 06:54
L’écriture est d ‘une élégance folle ! D’un autre siècle, quasiment, sans pour autant être démodée ou chichiteuse, du grand art !
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9 mars 2015 at 06:59
Très très élégante, oui ! 🙂
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9 mars 2015 at 07:36
je vais découvrir cet auteur avec ce livre . Je l’ai acheté mais apparemment j’ai bien fait…:)
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9 mars 2015 at 08:03
Son précédent m’avait enthousiasmée, quelle langue, oui! Alors si en plus il y a de la physique (et des maths) je signe! ^_^
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9 mars 2015 at 09:11
J’ai encore le précédent (enfin je crois que c’est le précédent) à lire. Je vais le ressortir de mes rayons avant de plonger dans celui-ci (car oui, tu en parles très bien et donnes une furieuse envie de le découvrir).
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9 mars 2015 at 10:43
je viens apporter de l’eau à ton moulin
on est loin de la bio ou du texte de vulgarisation on est là devant un petit bijou littéraire, l’écriture est absolument magistrale et la qualité de la réflexion aussi
cela ne m’étonne pas que Etienne Klein adhère je vais aller lire son article
Si cela t’interresse Klein a publié un petit livre extra sur la disparition de Majorana le physicien italien et alors que j’avais déjà lu Sciacia sur la question j’ai trouvé son livre passionnant et apportant du nouveau
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9 mars 2015 at 10:58
Merci Dominique, je vais aller voir ça 🙂
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9 mars 2015 at 11:57
Le sujet ne m’emballait pas mais je suis prête à changer d’avis !
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9 mars 2015 at 12:29
Dominique et toi vous êtes des diablesses ! bien sûr que je vais le lire Merci
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9 mars 2015 at 16:44
J’adore ces histoires et notamment ces destins si particuliers. J’ai beaucoup aimé au cinéma « Imitation game ».
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9 mars 2015 at 16:48
Pas moi 🙂 J’ai trouvé le film d’un classicisme total, ne rendant pas justice à la personne incroyable qu’était Alan Turing. Mais ce roman est excellent !
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9 mars 2015 at 17:57
Déçue aussi par « Imitation Game », parce que je m’attendais à quelque chose de fort quant à l’aspect génie mathématique de l’individu et pour cet aspect-là, vraiment, je suis restée sur ma faim.
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9 mars 2015 at 17:55
Tsss ! C’est pas très gentil, ça, Cuné, de me donner envie de lire un auteur dont je m’étais dit (à tort ?) qu’il n’était pas pour moi !
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10 mars 2015 at 20:08
Il a une bonne tête le Jéjé. J’aime bien les gros yeux.
Mais son Sermon m’a tellement fait… comment dire pour être polie,
fait faire caca, voilà…
que je ne me risquerai pas…
Et pourtant…
je te montre mon pyjama
http://www.emp.de/art_254810/
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11 mars 2015 at 06:02
:)))))))))))))))))))
Il est très chouette, ton pyj !
Mais en fait je trouve que seuls les vrais auteurs ont cette capacité à susciter chez le lecteur soit l’enthousiasme le plus fébrile soit l’ennui le plus noir. C’est normal et c’est sain !
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13 mars 2015 at 14:25
Ouais mais on peut sacrément se faire iéch !
Et moi faut pas me chauffer… Mon Heisenberg est un serial killer !
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13 mars 2015 at 16:22
Oui, j’ai été aspirée par l’intégrale de Braking Bad en son temps, moi aussi ;o))
Mais sinon moi je ne m’ennuie pas un instant, pas du tout du tout, en lisant Jérôme Ferrari ! En revanche, je viens de tenter de lire un roman dont j’espérais beaucoup et j’ai capitulé à même pas la moitié, là, oui, je m’ennuyais vraiment-vraiment, donc je comprends ce dont tu parles ^^
Oh ça me fait penser à Gérard Berry, que j’ai écouté là :
http://www.franceculture.fr/emission-la-conversation-scientifique-conversation-tous-azimuts-avec-gerard-berry-2015-03-07
qui disait qu’il aime beaucoup le théâtre, mais que parfois, quand on s’y ennuie, c’est mortel – et que dans ces cas-là, on ne sait absolument pas dire de quoi la pièce parlait en sortant.
Donc, bref, voilà quoi, quand on s’ennuie c’est moche, c’est tout 🙂
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20 mars 2015 at 10:14
J’avais été complètement subjuguée par l’écriture dans « Le serment sur le chute de Rome », même si l’histoire m’avait laissée plus sceptique. je sais que je lirai celui-ci aussi, et surtout je vais l’offrir à mon père chercheur et féru de physique quantique !
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20 mars 2015 at 15:08
Oh, là là, je suis fichue, je viens d’entendre l’auteur à la radio (dans la Tête au carré de Mathieu Vidard
http://www.franceinter.fr/emission-la-tete-au-carre-le-club-en-direct-du-salon-du-livre) alors que j’étais au volant, et ça a redoublé mon envie de lire « Le principe ». Et c’est « Où j’ai laissé mon âme », que je n’ai pas encore lu.
Jérôme Ferrari était invité en même temps que Sébastien Bohler, qui vient de publier « Neuroland », un « thriller neurologique » ; ce sujet m’intéresse au plus haut point, alors je suis très tentée. T’aurais pas envie de te pencher dessus pour me donner ton avis ? :-))
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20 mars 2015 at 16:02
J’écouterai ça, merci !
Why not pour « Neuroland », ça a l’air sympa ! Je te tiens au courant 😉
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