« Mais c’est un écrivain reconnu. Il doit avoir une sorte d’intellect, estime-t-elle.«
Ces instants-là – Herbjorg Wassmo
Gaïa, 2014, 399 pages
Traduit du norvégien par Céline Romand-Monnier (Disse oyeblikk, 2013)
Ces instants-là, ça peut représenter les moments que choisit de nous raconter la narratrice, qui sont tous brefs, et chronologiquement construisent une vie; ça peut également mettre l’accent sur les crises dont elle souffre, une sorte d’épilepsie (mais pas tout à fait ni seulement : la notion de pur désespoir y est mêlée – ou pure désespérance ?); ou alors est-il plutôt question de ses nombreux rêves torturés et bien trop riches de sens, ces instants où tout se mélange et dont souvent émerge une compréhension plus fine. Je ne sais pas exactement et j’aime à croire que c’est tout ça à la fois, tout comme j’ignore s’il s’agit d’un roman ou de la biographie même de l’auteur – ce que je sais en revanche c’est que ce livre est d’une beauté intense et m’a profondément touchée. La narratrice est née au cours de la seconde guerre mondiale dans un petit village très au nord de la Norvège. Son enfance est traumatisante, elle la survole seulement dans ce livre (mais nous en donne la clef en épilogue – bien qu’elle l’ai laissé entendre en permanence), sa vie de jeune fille puis de femme adulte sera compliquée mais très riche. La naissance d’un écrivain, d’un auteur, le moment où ce besoin se fait entendre, où ce moyen d’expression établit son séduisant joug, tout est immensément palpable et ça soulève, ça crée une forme d’exaltation chez le lecteur tout en n’occultant aucune des réalités très concrètes d’un tel asservissement (car c’est est un). Tour à tour dramatiques, tendres, amusantes, obtuses parfois, ces pages demeurent en permanence réellement très intéressantes, et j’ai beaucoup apprécié les pudiques ellipses, le lecteur est clairement sollicité, il doit relier seul quelques points. J’aime ça. Un livre qui en appelle à Simone de Beauvoir.
Morceaux choisis (C’est toujours moi qui souligne.) :
« On aurait pu s’attendre à ce que ton aveu de dilettantisme te rende humble. Mais non, tu discutes tout, tout en étant cruellement ignorante et passablement catégorique, et tu poursuis la traversée du désert qu’est ton devoir quotidien. Tu as développé une phobie des miettes et de la crasse, des mouches mortes et des vêtements de gym sales. Te figures que cela fait de toi, sinon une personne meilleure, au moins une personne plus enviable. Quand surgit l’idée que quelque chose pourrait clocher chez toi, tu t’apitoies sur ton sort au point de devoir compenser par une course aux tâches plus acharnée encore. Tu mènes ta vie dans un creux de sable dans le désert.«
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« Ce qu’il y a de bien quand on ajourne, c’est qu’on n’a encore rien fait que l’on regrette. Ce qui est négatif, c’est que cela remplit la tête.«
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« J’aurais voulu être aussi entreprenante et cohérente que toi. Mais je suis un regrettable mixte de je-ne-sais-pas-si-je-fais-l’affaire et de furieux entrain.«
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« Il a de grands yeux honnêtes qui mentent avec la rugueuse douceur d’une langue de chien.«
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Ici, ses notes de la conférence de Sara Lidman, dont elle parle à plusieurs reprises, et qui semble être quelqu’un de réellement formidable :
« J’ai essayé de le voir et d’écrire ce que je voyais. C’est cela. Entrez à l’intérieur des gens ! Regardez ce qui se meut. Leur imagination. Suivez la graine via l’herbe, et l’animal jusqu’à la laine et au vêtement sur l’homme et la femme. Apprenez des comédiens. Ils entrent à l’intérieur des gens, sont dans leurs corps. Laissez le texte vous mettre à plat. Totalement à plat. Les mots sont un secret entre texte et lecteur, et l’écrivain doit se tenir à l’écart. Souvenez-vous en ! Transmettez la matière sans trahir. Ne montrez pas aux ennemis les faiblesses de vos personnages, pas sans donner de l’empathie. Ne faites pas une vitrine de vos paysages. Laissez le lecteur entrer dedans par lui-même.
Trois sujets valent la peine d’écrire.
L’amour. La mort. La pauvreté.
Si quelque chose est trop difficile, trop révoltant, violent, racontez autre chose, quelque chose qui puisse se refléter sans répugnance. Aucun détail épouvantable ne doit tuer la gravité de ce qui se passe et bloquer l’identification du lecteur. Ayez confiance dans l’imagination du lecteur.
Et pour finir :
Faites ce que vous avez à faire.
Oubliez tout ce que j’ai dit !«
14 septembre 2014 at 10:47
J’ai appris hier seulement qu’un nouveau Wassmö sortait ! Je le veux !!! (je suis totalement fan) « Le séduisant joug de ce moyen d’expression » ❤
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14 septembre 2014 at 11:12
Et moi je ne connaissais absolument pas cet auteur, je ne sais pas où je vivais, donc :)))
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14 septembre 2014 at 18:41
J’avais bien aimé « Le livre de Dina » même si j’avais détestée l’héroïne pleine d’arrogance. Je note celui-ci.
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14 septembre 2014 at 18:47
Il faut absolument que je lise ce livre de Dina 🙂
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14 septembre 2014 at 18:47
Je suis en pleine lecture… j’ai adoré Cent ans et Le livre de Dina, fort différents l’un de l’autre, et différents de ce dernier aussi. Herbjorg Wassmo est une auteure qui change et surprend ses lecteurs.
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14 septembre 2014 at 18:49
Je veux lire aussi « Cent ans » ! 🙂 (Mes envies de lecture, en ce moment, sont incroyablement étendues ! ^^)
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14 septembre 2014 at 18:50
C’est un problème, hein, ces envies qui s’élargissent ! 😉
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14 septembre 2014 at 18:51
Mais complètement ! Problème de temps, de disponibilité, de budget parfois aussi, et de choix, surtout. Terrible ;o))))
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14 septembre 2014 at 18:52
Beaucoup aimé le Livre de Dina, déjà entendu du bien de celui-là, noté, hop. 🙂
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14 septembre 2014 at 18:53
C’est fou parce qu’elle parle d’une norvégienne avec quelques 30 ans de plus que nous (ou 40, ou 50, selon les cas, c’est vrai que tu es toute jeune toi) et on s’y reconnait parfois tellement…
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14 septembre 2014 at 20:10
Hum, déjà dans tes extraits, je m’y reconnais presque… je note je note. J’avais entendu parler du Livre de Dina, mais pas fait le rapprochement du tout.
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15 septembre 2014 at 06:03
Vraiment, on ne parle pas assez de cet auteur, un univers très particulier, dans le bon sens du terme !
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15 septembre 2014 at 00:35
C’est un auteur extraordinaire …je suis vraiment surprise, Cuné , que tu ne connaisses pas le Livre de Dina ! Un choc pour moi il y a une dizaine d’années (grâce à ma libraire de l’époque qui m’avait fait profiter de nombre de pépites…). Depuis j’ai toujours suivi cet auteur… Attention , Dina c’est une traversée, car saga de six tomes , mais il y a fort à parier que une fois embarquée tu ne demanderas pas à descendre , si tu veux m’en croire :)) Bon, six jours ?
Ps: dans la rencontre de vendredi chez AtoutLivre , elle a bien confirmé : qu’elle a eu nombre de crises du Grand Mal ( et je me suis souvenue que quand j’étais petite on ne désignait jamais autrement l’épilepsie …) ; qu’elle avait vraiment des hallu !! ; et que c’était bien ,cette fois ,même si elle parle à la troisième personne je crois ? , une autobiographie
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15 septembre 2014 at 06:06
Hé non, hé non, je ne connais pas tout, et loin de là ! Mes lacunes sont abyssales, j’en ai parfaitement conscience 🙂
« Le livre de Dina », quand même, est un titre qui me disait quelque chose « à l’oreille », mais sans en savoir plus et pire, sans en avoir la curiosité même.
Je me disais bien que « Ces instants-là » sonnait trop vrai pour être pure fiction 🙂
Et oui, c’est un récit majoritairement à la troisième personne.
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15 septembre 2014 at 06:51
J’ai raté Cent ans qui avait beaucoup plu aux blogueurs. J’espère pouvoir lire celui-ci.
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15 septembre 2014 at 07:37
Ma rencontre avec cette auteure avait été ratée il y a quelques années mais là tu me donnes envie de tenter à nouveau avec ce texte ! 🙂
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15 septembre 2014 at 08:35
Chouette ! 🙂
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15 septembre 2014 at 08:55
Aussitôt vu, aussitôt sur l’étagère. Mon préféré : La septième rencontre. Sublime !
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15 septembre 2014 at 09:15
Je note précieusement, merci Theoma !
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15 septembre 2014 at 12:37
Moi aussi, j’aime beaucoup cette auteure et il m’avait completement echappé qu’elle avait sorti un nouveau livre. Je le note mais ça devient problématique cette liste d’envies qui s’allonge depuis quelques semaines…
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15 septembre 2014 at 13:01
Ne m’en parle pas, je suis presque figée de stupeur à chaque fois que je dois choisir ma prochaine lecture : j’en ai trop qui me font envie 🙂
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15 septembre 2014 at 13:13
Je n’ai lu que « le livre de Dina », j’ai un retard tout aussi abyssal que le tien et mauvaise nouvelle : plus on vieillit, plus les envies augmentent de manière exponentielle, comme une porte qui ouvre sur deux autres portes qui ouvrent sur quatre autres etc … etc … et on sait que l’on y arrivera jamais !
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15 septembre 2014 at 13:16
Le pire, c’est que j’ai parfois des périodes où je me dis (c’est idiot mais ça revient tout le temps) que je ne sais vraiment pas quoi lire, qui lire, pourquoi, qu’est-ce qui pourrait encore me surprendre, comment faire pour avoir envie ? Et d’autres, bénies, comme en ce moment, où réellement je n’ai pas assez d’yeux pour accompagner mes féroces envies.
Hé bien je préfère la deuxième option, et de loin, tant pis si on n’y arrivera jamais, ne cessons jamais d’essayer ! 🙂
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17 septembre 2014 at 11:46
Ah, « Le livre de Dina », un moment de lecture incroyable ! Je m’empresse de noter celui-ci !
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31 décembre 2014 at 22:53
J’ai adoré ce livre, comme je suis contente de voir qu’elle en écrit d’autres avant!
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1 janvier 2015 at 07:53
J’ai éprouvé exactemement la même chose ! 🙂
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