Gen d’Hiroshima – Keiji Nakazawa
Titre orginal : Hadashi no Gen (série débutée en 1973) (Gen aux pieds nus)
Traduit du japonais par Vincent Zouzoulkovski
Vertige graphique 2003 – 2007
« Gen me hante » : ainsi débute la magnifique préface signée Art Spiegelman dans le premier tome, et chacun des mots qui suivent mériterait d’être répété tant il parvient, en trois pages, à exprimer tout ce qu’il est nécessaire d’avoir à l’esprit avant de se lancer dans la lecture de ces dix tomes. Car enfin il s’agit d’un classique, un vrai, autobiographique à 80 %, qui nous raconte avec de nombreux détails la vie quotidienne au Japon en 1945 et dans les quelques années qui suivent. Dès la fin du premier tome, le 6 août 1945 a lieu, mais ce que Gen (7 ans à l’époque) vit avant même ce bombardement atomique est déjà de nature à stupéfier, horrifier (et toute la palette des synonymes) le lecteur occidental contemporain. On ne peut pas s’empêcher de tiquer sur le vocabulaire choisi (énormément de grossièretés, des insultes à tout bout de champ), avant de reléguer tout ça (je pense aussi aux outrances des expressions des corps et visages, aux gouttes de sueur ou aux larmes en fontaine en permanence) aux oubliettes, tant le propos est saisissant, tant on est tout simplement rendus muets. Bien sûr qu’on connait tous Hiroshima, la bombe atomique, la guerre. Mais pénétrer dans 2628 planches qui nous en montrent le quotidien, c’est bien autre chose. D’autant que l’éditeur accompagne le propos en nous proposant au début de chaque tome quelques explications historiques sur la période dont il va être question (par exemple, pour le tome 2, les quelques dix jours qui ont suivi l’explosion), qui aident à comprendre le contexte. La population était maintenue dans une ignorance totale (plus une propagande mensongère) et ce sont des moments d’apocalypse que Gen vit, et l’organisation du quotidien après la bombe, toutes les privations endurées (et leurs terribles conséquences), même si elles sont toujours accompagnées de moments comiques (si, si), sont très bien exposées. Les différentes problématiques qui verront le jour dans les années suivantes ne sont pas en reste, l’occupation américaine, les conséquences des radiations et la situation politique, économique et sociale du Japon sont des thèmes largement développés et d’une complexité infinie (le communisme (et Mao en Chine), l’impérialisme et son déclin, la guerre de Corée, j’en passe). C’est une lecture difficile, il y a quelque chose de profondément dérangeant, accentuée par le contraste du propos abominable et l’exagération permanente du traitement, clairement adressé à la Jeunesse. Et en même temps c’est très puissant, de l’ensemble se dégage une force impressionnante, qui cloue un petit peu le lecteur. On décroche un peu dans les deux derniers tomes, car s’ils sont – enfin – porteurs d’espoir (Gen a quinze ans et un avenir en tête : dessiner), il est difficile de ne pas se lasser des violences permanentes, tout est toujours prétexte à lancer pieds, poings et vocabulaire fleuri, surtout à travers cette manière si particulière de répéter et répéter encore tout ce qui se passe. Un monument du manga qu’on est aussi content d’avoir lu que d’en avoir terminé.
Ils en parlent : KBD, Frédéric Baylot, …
33° participation aux BD du mercredi de Mango !
22 janvier 2014 at 08:01
J’ai lu cette série il y a longtemps (à l’échelle d’une vie de lectrice, comprendre que je ne me souviens pas de tout :-)) et j’en avais pensé la même chose que toi : le dessin est très outré, l’histoire terrible et le tout forme un ensemble aussi fort que parfois indigeste.
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22 janvier 2014 at 08:08
Tu n’as vraiment peur de rien: dix tomes d’un manga sur Hiroshima, beau mais … comment dire?… Bref tu es surtout contente (et fière, … je le serais si j’avais le courage de lire ces 10 tomes!) , comme soulagée d(en avoir terminé avec un tel récit!
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22 janvier 2014 at 08:57
Je ne suis pas sûre de pouvoir me lancer dans une telle aventure en ce moment ! 😉
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22 janvier 2014 at 09:06
Ouch ! Tu as lu tout ça !! Le volume de tomes que comprend cette série me fait très peur à vrai dire. Après, vu les retours des copains de kbd, le tien et d’autres ailleurs… je me dis qu’il faut vraiment que je franchisse le pas
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22 janvier 2014 at 09:21
Tu pointes parfaitement les raisons pour lesquelles cette BD m’a repoussée il y a des années (abandon tome 1): violent au possible, dessins très (trop) manga. Un bibliothécaire me l’a recommandée il y a peu, mais j’hésite…
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22 janvier 2014 at 09:39
Dans sa préface, Art Spiegelman dit que la lecture de chaque volume prend quelque chose comme.. je ne sais plus en fait, et je ne l’ai plus sous la main, en tout cas j’ai compris que ça se lisait vite, or moi j’ai passé un temps fou sur chaque tome, d’abord parce que ça ne me devient pas naturel (du tout) de lire de droite à gauche en commençant par la fin, et que c’est très chargé. J’ai donc commencé il y a plusieurs semaines, c’est une lecture au long cours. J’avais pris les 3 premiers volumes à la bibli « pour voir », parce que la série y était complète et que je suis curieuse, mais je ne savais pas du tout dans quoi je mettais les pieds. Au risque de paraître naïve, ça m’a sidérée immédiatement, je ne parviens toujours pas à concevoir qu’on ait pu faire ça, décider (et des gens intelligents, éduqués, savants) de faire exploser des bombes atomiques et d’étudier les effets de la radioactivité sur des êtres humains. J’ai beaucoup apprécié la force vitale chevillée au corps du petit Gen, ainsi que sa franchise totale. Il maudit avec raison. Je trouve que ce n’est ni morbide ni malsain de prendre connaissance de ce témoignage, que c’est important au contraire, pas pour aller déprimer et se lamenter sur la folie des hommes, non, pour toutes les autres raisons possibles (dont évidemment le respect, la compassion). Je suis moins en phase avec la forme, mais c’est vraiment secondaire. L’édition française est super bien faite, avec toutes les précisions de contexte en permanence. Je pense avoir répondu en gros à tous vos commentaires ci-dessus avec ça, non ? 🙂
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22 janvier 2014 at 09:56
En ce qui me concerne, c’est le cas. Tu complètes parfaitement ta chronique. De mon coté, il va falloir que je trouve à réorganiser mon temps pour avoir des temps pour aller à la bibliothèque. Là, je bloque aussi sérieusement sur le coté financier. Il y a beaucoup de tomes et même si mon budget BD est plus important comparé à d’autres lecteurs, il y a un moment où ça bloque… forcément ^^ Je pense que ça fait environ 2-3 ans que je n’ai pas mis les pieds dans une bibliothèque. C’est long….
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22 janvier 2014 at 10:02
Merci Mo’ 🙂
D’autant que ici, chaque volume est à 18 euros donc la somme finale est ouch ouch ouch. Je trouve que pour les fondamentaux, ou plus généralement si on ne recherche pas la nouveauté à tout prix, la bibli est une solution idéale. J’ai tellement à découvrir en BD que si j’en achète tout de même quelques-unes, les bacs de ma bibli vont largement suffire à me combler pendant des années ! Et puis c’est un réel plaisir (pour moi) d’en prendre complètement au hasard, sans même regarder qui, quoi, quelle année, quel thème. Le plaisir de tenter, de tester, parfois bien supérieur à celui de la lecture 🙂
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22 janvier 2014 at 10:06
C’est aussi valable quand on achète. Tenter, tester… ça met du sel à toute lecture. Après, c’est vrai que lorsqu’on est confronté à une déception, on revient sur le prix d’achat et les dents grincent de temps en temps :))
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22 janvier 2014 at 10:08
Oui tu as parfaitement raison 🙂
Avec la bibli, ce qui fait grincer c’est le PORTAGE, pénible aussi mais pas pour le porte-monnaie 😉
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22 janvier 2014 at 11:44
Je ne sais pas lire les mangas. J’ai pourtant essayé plusieurs fois. Alors je ne m’embarquerai pas dans ces 10 tomes si intéressants et intenses soient-ils.
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22 janvier 2014 at 13:14
Le graphisme (avec ses outrances auxquelles tu fais allusion) autant que la violence du propos, avant même la bombe (échanges trash des gamins, une histoire de morsure ou je ne sais plus trop quoi) m’avaient rebutée et je n’ai même pas achevé le tome 1.
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22 janvier 2014 at 15:40
Syl, j’ai du mal aussi, même si je persiste. Et ça m’énerve beaucoup de voir Fiston mettre le quart du temps que je mets pour lire la même chose que moi, mais ça ne devient pas automatique pour autant, je dois me DIRE consciemment de commencer par tel côté à chaque page, ça fatigue, vraiment 🙂
Brize, effectivement avant la bombe, Gen et son petit frère mordent des doigts jusqu’à les détacher, ça donne immédiatement le ton.
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22 janvier 2014 at 16:02
Merci à toi de mettre cette série en avant. C’est en effet un monument du manga, qu’il faut lire si on désire avoir un point de vue très différent sur Hiroshima, celui des victimes.
Juste merci. Elle n’est pas assez connue et assez lue.
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22 janvier 2014 at 16:59
Merci Yaneck 🙂
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22 janvier 2014 at 17:18
Le sujet ne m’attire pas…
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26 janvier 2014 at 20:36
Alors la question ne se pose même pas ! 🙂
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22 janvier 2014 at 17:54
Apparemment c’est un monument du genre, incontournable en gros… Pas sûre que je m’y mette pourtant…
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26 janvier 2014 at 20:35
Un jour peut-être…
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23 janvier 2014 at 21:03
Pas tellement tentée… Je passe mon tour !
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26 janvier 2014 at 20:32
D’accord 🙂
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